Des Otaries et des Hommes
A moins de deux mois de quitter l’île, il paraît assez naturel de penser aux choses qui vont nous manquer le plus. Pour ma part, la réponse est sans appel : les Otaries. Il m’est alors impensable de ne pas leur consacrer quelques lignes ici…
Il faut dire que ces bêtes à poils (avec des poils, même si dans l’absolu, elles sont également « à poils »), on s’y attache. Enfin, plus ou moins, selon les gens. Certains hivernants ne les portent pas nécessairement dans leur cœur, mais peut-être sont-ils simplement partis du mauvais pied. Ou de la mauvaise palmure. Il est vrai que dans leurs mauvais jours, ces dames à moustaches (« vibrisses » corrigeraient l’Ornitho) peuvent parfois montrer les crocs et crier « un peu » fort… Mais qui peut se vanter d’être toujours cordial et agréable ?
"Mémère en colère" - 18 Mai 2018 - Y. BERTRAND
Une petite présentation s’impose. Sur l’île Amsterdam, c’est l’Otarie à fourrure subantarctique – Arctocephalus tropicalis de son joli nom latin – qui se prélasse le long des côtes. Arctocephalus, littéralement « à tête d’ours », et c’est vrai qu’on y retrouve un petit air de famille. Et tropicalis, ben… on a déjà admis depuis longtemps qu’on était sur le « Club Med’ des TAAF ». A l’instar des Albatros, ces bêtes font partie du programme de suivi des prédateurs marins sur Amsterdam. Notre Ornitho ne fait donc pas seulement dans l’oiseau, ce qui lui vaut la mention « Ornitho-Otariste ». Considérée, elle aussi, comme une espèce sentinelle, le suivi de la population à long terme permet de mieux appréhender les changements climatiques globaux et leurs impacts sur la biologie de ces animaux. Cela fait donc maintenant de nombreuses années que nos amies à fourrures sont étudiées. Aujourd’hui protégées, leur population se porte relativement bien. Mais ça n’a pas toujours été le cas, puisqu’elles ont été massivement exterminées pour leur fourrure, notamment de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle, au risque de voir presque disparaître leur population. Encore une riche idée. Autre temps, autre époque.
La M.A.E., "Mare Aux Éléphants", zone d'étude des Otaries pour le programme IPEV 109 - 19 Mai 2018 - Y. BERTRAND
Loin des clichés de la brave bête faisant tourner un ballon sur sa truffe pour épater les spectateurs, l’Otarie est quand même ici souvent au centre des éclats de rire. Et les mâles, avec leurs allures de Mister T alias Barracuda dans l’Agence Tous Risques, ne nous donneront pas tort (la crête, un des éléments de dimorphisme sexuel, est un symbole de dominance chez les mâles). Animal foncièrement joueur, il régale de ses mimiques et postures improbables. On peut passer des heures à observer leurs interactions sociales sans jamais s’en lasser une seconde. Mais il ne faut pas s’y méprendre : loin des zoos, Aqualand et autres prisons animalières satisfaisant notre plaisir égoïste, ici, l’Otarie règne en maître incontesté. Nous sommes l’Albatros de la farce, reclus dans notre microcosme Martin-de-Viviès, pastiche de la société moderne. Ce sont les Otaries qui nous visitent, et non l’inverse. Et leurs canines nous rappellent rapidement que nous ne sommes pas à notre place. A leurs allures de peluches sur pattes, on aimerait approcher la main, mais gare à nous…
Fière femelle - 04 Mars 2018 - Y. BERTRAND
Mais à quoi peut-il bien penser... - 28 Novembre 2017 - Y. BERTRAND
Catégorie "Dormeur Tout Terrain", spécimen #1 - 04 Mars 2018 - Y. BERTRAND
Catégorie "Dormeur Tout Terrain", spécimen #2 - 15 Décembre 2017 - Y. BERTRAND
Catégorie "Dormeur Tout Terrain", spécimen #3 - 11 Décembre 2017 - Y. BERTRAND
Catégorie "Dormeur Tout Terrain", spécimen #4 - 17 Décembre 2017 - Y. BERTRAND
L’hivernage sur Amsterdam nous offre le privilège de côtoyer ces animaux sauvages dans leur propre milieu, tout au long de l’année. N’ayant pas évolué avec les humains, les Otaries n’ont pas le réflexe de fuite habituel, tout comme les autres animaux de l’île. Ce qui permet quelques rencontres, avec précautions, parfois fabuleuses. Malgré leur relative dangerosité, on se sent naturellement plus proches des Otaries que d’autres espèces. Et ce n’est pas si surprenant, puisque ce sont des mammifères comme nous. Il est plus aisé de comprendre leurs codes, leurs gestuelles et d’appréhender leurs réactions. Les observer sur une année entière nous permet notamment d’assister aux naissances et de voir grandir leurs petits, que l’on appelle ici couramment « pups » (de « sea lion pups », les petits d’une espèce étant génériquement appelés « pups » en anglais). Souvent moins farouches que leurs congénères adultes, les pups peuvent se montrer très curieux et joueurs, ce qui donne parfois lieu à de vrais moments d’émerveillement et de bonheur à leur proximité. Les adultes, bien plus méfiants, se montrent plus distants et souvent très agressifs.
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Sur terre, un peu gauches, les Otaries ne sont pas dans leur élément. Ce qui les pousse à être acariâtres et à montrer les crocs rapidement à notre approche. Elles ne sont pas plus à l’aise qu’on le serait dans l’eau, il faut les comprendre. Mais dans l’océan, ce sont des reines, confiantes et pleine d’assurance. Véritables torpilles affûtées, elles fendent les eaux avec grâce. Aucune vague ne leur résiste. Ainsi, leur comportement vis-à-vis des humains change du tout au tout.
Et c’est pour notre plus grand bonheur, puisque nous avons l’opportunité, lorsque les conditions de mer le permettent, de nager avec elles en bordure de la base. On réunit les volontaires, on prépare les dispositifs de sécurité (bouées, échelle pour descendre, surveillants de baignade en tenue), on s’équipe et… à l’eau ! En période où les jeunes pups commencent à se rendre en mer, c’est un bonheur indescriptible. Ils se ruent tous sur nous pour venir jouer, comme si le fossé qui nous séparait sur terre était soudainement rompu. Même les adultes viennent parfois s’y risquer. Dénués de toute agressivité, ils conservent quand même une certaine distance en nous observant curieusement. Mais il arrive parfois qu’un gros mâle de 150 kilos se risque à venir mettre son nez contre notre masque de plongée pour dire bonjour : c’est arrivé pas plus tard qu’à la baignade d’il y a trois jours. Et les fonds marins nous réservent bien d’autres surprises. Poissons en tout genre, langoustes - la fameuse langouste de Saint-Paul et Amsterdam, mais pendant la baignade on l’observe et on lui fiche la paix ! – et quand on est chanceux, on peut apercevoir quelques poulpes en chasse. Les baignades font certainement partie des expériences les plus incroyables de cet hivernage, qui nous laisseront encore plein d’étoiles dans les yeux après notre retour.
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Les Otaries, c’est aussi un festival de cris en tout genre, sans interruption. Les mères appellent leurs pups, les mâles y vont de leur « hüf hüf hüf hüf » de gros labrador enthousiaste, les pups bêlent comme des chèvres ou braillent comme des enfants jusqu’à s’égosiller. Bruits qui sont au début assez déroutants, pour finalement devenir habituels voire attachants. Pour rien au monde on a envie de troquer cela contre les bruits assourdissants de la ville. Et pourtant…
Le départ approchant, on réalise alors que c’est l’île qui nous a laissé une trace. Et non l’inverse. Pour sûr, l’Otarie nous a marqués de sa palmure à l’indélébile. Et peut-être n'est-ce après tout pas si imagé que cela...
Peluche des Australes - 31 Juillet 2018 - Y. BERTRAND